Chronique, Heilung : Futha
8 août 2019Intro : Depuis quelques années un regain d’intérêt majeur pour le paganisme* fait surface. Et particulièrement pour les traditions nordiques. La musique subit à son tour cette influence et a vu naître en peu de temps différents groupes se revendiquant du néofolk ( Un genre musical post-industriel axé sur le paganisme et l’occultisme, ancré dans l’histoire européenne. ) Heilung à connu une ascension fulgurante se retrouvant au Hellfest en 2018 après seulement quatre ans d’existence. Avec un premier album sorti en 2015 ( Ofnir ) et une version live ( Lifa ) sortie en 2018, ils reviennent cette année avec Futha, sorti le 28 juin 2019.
Qu’on se le dise, Heilung baigne profondément dans les racines de l’âge Viking. S’il fallait décrire le groupe en 2 mots ; Primitif et onirique seraient les plus appropriés. S’ils peuvent souffrir de la comparaison avec d’autres groupes de néofolk populaire tel que Wardruna , ils prennent une toute autre direction artistique. Heilung est animé d’une aura particulière, presque chamanique, cherchant à nous transporter dans une autre époque, non pas comme une banale reconstitution historique, mais comme désireux de nous faire vivre à l’instant présent ses racines disparue. Un joli pied de nez à l’histoire quand on sait que la christianisation des vikings ont contribué à la disparition de ses cultes.
Une fois en main l’album est très beau. Cartonné et disposant d’un petit livret ou l’on ne trouve pas les paroles des chansons, mais une sorte de petit artbook contenant divers dessins d’inspiration scandinave. En retournant l’album pour chercher le nom des titres, on se rend assez vite compte que tout est écrit en vieux futhark ( alphabet runique ). Á moins de lire le vieux norrois ( langue scandinave médiévale ) il vous faudra donc aller sur internet pour trouver le nom exact des titres.
- Galgalrd : Premier morceau de l’album. Galgalrd commence sans instruments, bercé par la voix sinistre de Kai Uwe Faust. C’est l’un des titres les plus longs de l’album avec une dizaine de minutes à son compteur. Ponctué d’un long silence naturel et d’une sonorité plus proche de l’industriel, le morceau semble prendre plusieurs directions à la fois. Malgré un début à l’ambiance anxiogène très intéressante, le silence trop long, va casser le rythme. Était-ce vraiment nécessaire pour la version studio ? Galgaldr est sans doute davantage un morceau de live, ou l’ambiance générale se prêtera plus à ce genre de choix.
- Norupo : Premier extrait présenté, Norupo est basé sur la copie d’un poème runique norvégien datant du XVIIe siècle dont l’original crée trois siècles plus tôt fût détruit. Moins onirique que les autres titres de l’album, la voix de Maria est mise à l’honneur, apportant une douceur certaine à la musique, donnant une impression de conte chanté. Elle vit le texte, nous faisant voyager dans une autre époque, au son d’une flûte qui semble hors du temps. Le résultat est tout simplement sublime.
- Othan : Environ un mois après la sortie du titre Norupo, Heilung présentait Othan, troisième morceau de l’album. Encore un mastodon de temps puisqu’il dure également une dizaine de minutes. Après un début qui prend à nouveau le temps de s’installer, le titre se dévoile pleinement. La voix de Maria attire notre attention. Elle chante en islandais, accompagnée des cœurs, avec un refrain très entêtant qui pourrait presque nous faire penser à l’allemand à cause de son accent. Le morceau se terminera de manière plus sombre, le clôturant magnifiquement.
- Traust : Moins d’un mois avant la sortie de l’album, Heilung décide de gâter son public en lui proposant un ultime morceau à l’écoute. Traust prend son temps. Il pourrait souffrir de la même réflexion que Galgaldr et Othan sur ce point, mais l’appréciation restera totalement subjective. Pour apprécier il faut prendre le temps de s’y plonger. Il est d’ailleurs le seul morceau de l’album présenté en avant première réellement inédit car Norupo et Othan étaient déjà présent sur l’album live Lifa. Il se révèle être l’un des titres les plus positifs de Futha en terme d’ambiance. Les paroles sont tirées de poèmes islandais. Les amateurs et amatrices de néofolk pur seront ravis.
- Vapnatak : Vaptanak n’est pas une chanson à proprement parlé. Il s’agit plutôt d’un poème récité sur fond de sons de bataille. En Scandinavie, cela fait référence à une cérémonie rituelle entre un seigneur et ses vassales. Il tranche complètement avec le reste de l’album. La voix masculine est posée, semble vouloir nous raconter quelque chose. Alors, on tend l’oreille, attentif, essayant de capter un mot que nous serions susceptibles de comprendre. La langue ressemble à de l’allemand, mais en est-ce vraiment ? D’aucuns parlent de francique ripuaire, un dialecte germanique ( N’oublions pas que certains membres de la formation sont allemands. ) . Cela restera un mystère pour nous. Et cela sied tout à fait à l’esprit de Heilung.
- Svanrand : Svarand est dominé par des voix féminines. Si l’on entend Kai Uwe Faust par ses roulements de langue bien caractéristique en accompagnement, les voix le supplanteront tout le long. À nouveau, Heilung nous présente un titre moins guerrier et beaucoup plus serein.
- Elivagar : Elivagar est un autre poème récité de l’album. Dans la mythologie nordique Élivágar fait référence aux douzes rivières présentes à l’origine du monde dont la source serait Hvergelmir. Dépourvu d’instruments, la voix de Kai Uwe Faust oscille de manière gutturale et tourmentée, à un calme inquiétant. Le morceau à quelque chose de très captivant. Finalement, le poème fait place à un chant guerrier toujours dominé par Faust et son timbre de voix se démarquant des autres, donnant une personnalité psychotique au morceau. Heilung dans toute sa splendeur. On se croirait réellement plongé dans une autre époque, en plein délire chamanique.
- Elddansuin : Avec ce morceau, on retourne dans le néofolk guerrier. La chanson fait référence au feu, d’ailleurs le titre peut se traduire en anglais par « The fire dancer » ( le danseur de feu ). Très répétitif, le début n’est composé que de quelques phrases s’enchaînant pendant plusieurs minutes. Avant de laisser place à un chant plus féminin. Il dégage quelque chose de très sommaire et très enivrant à la fois. Plus brutal au début, plus doux sur la fin, ce changement apporte une finalité donnant un sentiment bienveillant et plus positif que le reste de l’album.
- Hamrer Hippyer : Le morceau débute de manière cauchemardesque. Des hurlements de voix tourmentées se mélangeant, avec des paroles se répétant jusqu’à l’ivresse, comme si l’on était plongé dans un rituel magique, ou dans un très mauvais trip. L’inspiration de la musique industrielle se ressent particulièrement dans la rythmique du morceau, à mi-chemin entre la trance et le psychédélique. Et également le titre le plus long de l’album puisque celui-ci dure pratiquement un quart d’heure. Mais aussi l’un des plus prenant sur le plan émotionnel. Sans aucun doute l’un des meilleurs titres de l’album.
Bilan : Fidèle à eux-mêmes, Heilung reste proche de l’esprit du premier album. Pour le moment, le collectif reste sur ses acquis, et bien qu’ils soient excellents pour peu que l’on soit réceptif à leur musique, on peut aussi se demander si à plus long terme s’ils parviendront à se réinventer pour continuer à conquérir le public. Quoi qu’il en soit, Futha est le digne successeur d’Ofnir, tout en étant plus torturé et plus sombre que son prédécesseur, mais toujours dans une ligne directive maîtrisée. Heilung se trouve définitivement à part dans le paysage musical, malgré le nombre de groupe émergeant qui souhaitent aussi leur part du gâteau en se revendiquant du paganisme nordique. Mais, c’est une expérience qui se vit en concert, avec la proximité des artistes et l’ambiance scénique qui va avec plutôt que chez soi ou dans sa voiture. Lifa leur album live, est peut-être en ce sens meilleur que Futha et Ofnir, puisqu’il retranscrit mieux cet état d’esprit avec la spontanéité du direct et un son moins propre et moderne. Néanmoins, les amateurs de néofolk seront ravis par ce nouvel opus. Nous attendons avec impatience de quoi leur avenir sera fait.
** : Le paganisme se rapporte à la religion des païens et sert à designer ceux et celles qui ne sont ni chrétiens, ni juif. Par conséquent cela s’applique aussi aux anciennes religions polythéistes.